Montargis, berceau de la révolution chinoise

 « Sans la France, je ne sais dans quelle obscurité nous vivrions aujourd’hui »
a écrit Chen Duxiu, un des pères du communisme chinois.

Du Yunan à Montargis

Le lycée agricole du Chesnoy à Montargis a pour origine une ferme-école créée en 1864 grâce à une donation. Il est, de ce fait un des plus anciens établissements d’enseignement agricole de France.

Aux alentours de 1900, Li Shizeng,  un philanthrope chinois qui admirait la culture française, vient étudier à l’école agricole du Chesnoy. De retour dans son pays, convaincu que la Chine a besoin de l’Occident pour se moderniser et se développer, il fait part de son projet à Sun Yat- Sen, le président de la jeune République chinoise, dont il est l’ami. Et c’est ainsi que dès 1912 est créé le mouvement Travail-Etudes qui a pour but d’attribuer aux jeunes Chinois des bourses pour leur permettre de venir étudier en France.

Grâce à la générosité de Li Shizeng, entre 1912 et 1927, 4 000 jeunes Chinois vont venir étudier dans notre pays, dont environ 400 à Montargis.

Après la première guerre mondiale, le mouvement Travail-Etudes financera les études et le séjour en France d’étudiants pauvres. Parmi ceux-ci se trouve un groupe de jeunes intellectuels, originaires du Hunan, fascinés par le socialisme. On y trouve la plupart des amis de Mao : Cai Hesen, Li Fuchun, Chen Yi. Il y a aussi de très jeunes femmes, Xiang Jinyu, et la soeur de Cai Hesen, Chang. Le jeune Mao Zedong, lui, se contentera d’accompagner ses amis sur le quai. Pourquoi n’est-il pas du voyage ? Ses biographes se le demandent encore aujourd’hui.

Un jardin romantique abrite des débats passionnés

Ce groupe venu du Hunan arrive en France dès 1919. Il est installé à Montargis. Les garçons sont affecté au collège Gambetta et  pris en charge par l’instituteur M. Chapeau ; les filles, elles, sont à l’école du Chinchon, dirigée par Mme Dumont (la mère de René Dumont). Les jeunes étudiants chinois se réunissent au jardin Durzy . Venu de Paris, un certain Zhou Enlai se joint parfois au groupe. Autour de Cai Hesen, brillant théoricien, les débats sur l’avenir de la Chine sont passionnés : certains veulent suivre la voie de la révolution russe, et d’autres prônent la réforme. 

Aujourd’hui on peut voir encore la pièce d’eau, ornée d’un cyprès nain, auprès de laquelle les jeunes chinois sont photographiés et où, du 6 au 10 juillet 1920, Cai et son amie Xiang Jingyu exposent avec passion leur programme pour « sauver la Chine et le monde ».

Le 13 août 1920, Cai écrit une lettre à son ami Mao : il lui propose la création du Parti communiste chinois (PCC) qui constituera « l’avant-garde et le commandement de la révolution ». Le 1er décembre, Mao lui envoie son accord. Bien que le PCC ait été créé officiellement en juillet 1921 dans la concession française de Shanghaï, l’idée de sa création et toute la théorie révolutionnaire qui sous-tend son idéologie, ont été élaborées en France, à Montargis, dans ce parc romantique qui entoure le musée Girodet.

Xiang Jinyu et Cai Hesen rentreront en Chine à la fin de l’année 1921. Ils participeront activement à la lutte pour faire triompher leurs idées et construire la Chine nouvelle. Ils seront livrés aux nationalistes par l’occupant colonial et seront atrocement suppliciés. Ils périront respectivement en 1928 et en 1931.

De nombreux anciens étudiants du groupe de Montargis participeront à la construction de la Chine communiste et feront de belles carrières au service de leur pays : ainsi Li Fuchun deviendra l’ économiste du parti et Chen Yi maréchal, puis chef de la diplomatie.

Deng Xiaoping à l’usine Hutchinson

Deng Xiaoping , qui est le plus jeune de ce groupe d’étudiants, n’est pas installé dès le début de cette aventure à Montargis. En 1920, il va étudier dans une école à Bayeux, où il dépense tout son argent. Pour vivre il devra  travailler dans des laminoirs du Creusot. Il y rencontrera alors Zhou Enlai et se liera avec lui. En février 1922, Deng se fait embaucher sous un faux nom à l’usine Hutchinson, qui est situé dans la banlieue de Montargis et fabrique à cette époque-là des chaussures en caoutchouc. Il fera deux séjours à Hutchinson, du 14 février au 17 octobre 1922, et du 2 février au 7 mars 1923. Il est devenu un militant communiste et peut être aussi un agitateur. La direction de l’usine parait se méfier de lui. Sa fiche d’embauche, qu’on a retrouvée, porte ce commentaire : « A refusé de travailler, ne pas reprendre ».

Quand Deng revient en France en 1975 en visite officielle, au grand étonnement du Quai d’Orsay, il demande à revoir Montargis mais son emploi du temps trop chargé ne le lui permettra pas.

Quand resurgit un passé oublié

Il faut savoir que pendant ce temps, à Montargis, toute cette aventure chinoise s’était effacée des mémoires. Et quand le maire de la ville fut invité en Chine avec d’autres élus français, en 1982, il fut surpris d’être accueilli triomphalement –et les maires des grandes villes françaises qui faisaient partie de la délégation le furent sans doute encore plus- et conduit en limousine pour être présenté à Deng Xiaoping qui quitta pour lui accorder une entrevue le Congrès du Parti Communiste Chinois. A la grande surprise du maire, le dirigeant chinois évoqua avec émotion son séjour à Montargis.

Depuis cette redécouverte de l’histoire, les liens restent forts entre Montargis et la Chine. En 2005, a été créé un circuit commémoratif des Chinois à Montargis retraçant  cet épisode. En 2014, une place Deng Xiaoping a été inaugurée à Montargis, suivie, en 2016, par un Musée Historique de l’Amitié Franco-Chinoise. Le Lycée en Forêt à Montargis enseigne depuis de nombreuses années le mandarin et des échanges sont réalisés avec le lycée n°1 de Changsa, capitale de la Province du Hunan. Et l’université Tsinghua de Pékin, 1ère université chinoise, envisage, dans un proche avenir, d’ouvrir une antenne à Montargis. 

 

XIANG Jingyu (1895-1928), qualifiée de « jeune fille parfaite » par MAO Zedong et considérée comme la grande égérie de la Nouvelle Chine, viendra aussi en France. Elle sera la première femme à ouvrir une école en Chine – Crédit Photo « Amitié Franco-Chinoise », association et musée historique 

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